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  Légendes________Texte de P. DIJON - Contes et légendes du Condroz



LA GATTE D'OR___________________________

         " Texte retranscrit du recueil Contes et légendes du Condroz écrit par P. DIJON. "

     En allant de Huy à Modave, vous apercevrez à l'endroit nommé Régissa, tant en bordure de la chaussée qu'à différentes hauteurs de la colline longeant le Houyoux, de gros blocs de pouding rose.
     Ces pierres proviennent des ruines d'une habitation jadis élevée sur le plateau s'étendant vers la Sarte. Un seigneur d'origine Gallo-Romaine appelé Claude Régis, y possédait un vaste domaine agricole particulièrement herbagé. Ses nombreux troupeauxde moutons et de chêvres pouvaient pâturer sur les pentes abruptes du Hoyoux et sur les landes.
     Claude Régis n'avait qu'un enfant, une fillette de 12 ans, Cécilia; sa femme était morte deux ans auparavant.
     Il recevait quelques amis, entre autres le fils d'un vieux camarade  décédé. Ce jeune homme de dix-sept ans, Gilles Picard habitait un beau château sis au-dessus du mont dominant le confluent du Houyoux et de la meuse. Il venait entretenir l'ami de feu son père, d'un grand voyage devant durer des années. Il se proposait de visiter la France, l'Italie et peut-être le nord de l'Ibérie.
     Après avoir dit adieu à Claude, il salua Cécilia et lui promit de lui rapporter un beau cadeau à son retour.
     Cécilia Régis, gentille fillette, chérie de son père, ne l'était pas moins de tous les familiers de la maison de Claude et même de la domesticité. Elle avait néanmoins un caractère très indépendant et aimait aller ça et là à l'aventure; ce qu'elle pouvait faire, car elle avait un fidèle gardien qui ne la quittait jamais et était avec elle aussi doux et soumis qu'il se montrait insociable et hargneux avec les étrangers. C'était un puissant dogue appelé Custos. Elle avait pris en affection une gracieuse chèvre blanche. Oùqu'lle allât, toujours on voyait Cécilia accompagnée de Blanchette et de Custos.
     Dans la maison de son père, il y avait également un petit cousin. Orphelin, de quatre ans plus âgé que Cécilia, il s'appelait Germain. Claude l'avait chargé tout jeune de s'occuper particulièrement des troupeaux des ovins du domaine; il en prendrait plus tard la direction.
     Il était fatal que vivant continuellement ensemble, une idylle naisse entre Cécilia et Germain. Les enfants devenaient adolescents et Claude, loin de s'y opposer, voyait favorablement naître cet amour. Si bien que, sans s'être déclarés de part et d'autre, nos jeunes se comportaient comme des fiancés et tout leur entourage les traitait comme tels.
     Le temps passait et Cécilia allait avoir dix-sept ans. La fillette était devenue une ravissante jeune fille. Grande, élancée, la taille bien prise, elle se faisait remarquer par sonabondante chevelure blonde, qui flottait agitée par la moindre brise. Son teint frais rosé, ses grands yeux bleus, et sa jolie bouche qui souriait, laissant entrevoir deux rangées de dents nacrées comme des perles, forçait l'admiration de tout qui l'approchait.
     La pêche dans la rivière était son sport favori. Un jour qu'elle s'y livrait, un cavalier vint à passer par le sentier qui bordait le Hoyoux. Aussitôt, Custos se précipita à la rencontre de l'intrus et lui montra ses crocs menaçants, l'empêchant d'avancer.
     De loin, Cécilia reconnut Gilles qu'elle n'avait plus vu depuis près de cinq ans.Il avait peu changé de physionomie, aussi calma-t-elle son dogue lui lançant un " tout doux, Custos, c'est un ami." Gilles approcha, mit pied-à-terre, et salua cérémonieusement cette gracieuse jeune fille qu'il ne reconnut pas. " Comment lui dit-elle vous ne reconnaissez pas vos anciens amis?"
     Entendant cette voix qui lui était familère, Gilles s'excusa en disant: " vraiment non, je connaissais une gentille fillette couant le pays accompagnée d'une chèvre et d'un chien vigilant  et sans m'y attendre je me trouve devant une fée ravissante." Ce compliment fit rougir Cécilia, qui parut encore plus jolie. Elle tendit une main amicale à Gilles, que Custos, lui-même si agressif tantôt, vint , confiant lui mendier une caresse.
     Sur invitation de Cécilia, nos jeunes gens s'assirent sur la berge du ruisseau. Le voyageur fut invité à donner des nouvelles de ses longues pérégrinations en pays étrangers. Ces récits intéressèrent tellement son interlocutrice qu'après une heure qui parut si courte, il dut lui promettre de venir au même endroit lui conter la suite de son intéressant voyage. Il ne se fit pas prier, car dès l'instant où il avait revue cette amie d'enfance, il s'était senti épris d'elle intensément. Elle lui offrit la belle truite qu'elle avait prise avant son arrivée; il l'accepta et renouvela sa promesse de la revoir le landemain.
     Il fut le premier au rendez-vous et lui fit cadeau d'un splendide médaillon en or rapporté de Florence. Le récit de ses aventures se prolongea durant bien des jours et chaque jour c'était aussi un nouveau bijou que recevait Cécilia.
     Elle éprouvait un certain remords à accepter de tels cadeaux de son ami, alors  qu'elle se considérait comme la fiancée de son cousin. Elle en fit part à Gilles, ce qui n'eut comme résultat que d'exciter sa jalousie et d'augmenter ses présents. Peu à peu, elle se détacha de Germain et appréciait de plus en plus les luxueux bijoux qui lui étaient offerts. Elle les comparait aux menus présents ou aux bouquets éphémères qu'elle recevait de son pauvre cousin; mais elle n'osait lui en faire part, ni les laisser voir. Aussi, ne pouvant les dissimuler chez son père, proposa-t-elle à Gilles de les cacher dans une grotte qu'elle était seule à connaître, s'y étant réfugiée un jour d'orage et qui se trouvait le long du ru de Wappe, petit affluent du Hoyoux. L'entrée, pas très large, était cachée par des buissons; Gilles lui marqua  son accord et durant des mois, nos amoureux  eurent leurs entrvues dans cette  caverne.
     Chaque jour, quand son généreux ami était parti, elle rentrait dans sa cachette, et la coquette ne pouvant s'y admirer ornée de tous ces colliers et autres parures en or et pierres précieuses, arrangeait le tout sur Blanchette et se plaisait à la comtempler.
     Or, un jour, venue la prmière à la grotte, elle avait ainsi revêtu Blanchette et se proposait de la faire voir à Gilles dès son arrivée.
     Custos qui l'avait, comme d'habitude, accompagnée, ne manifestait pas sa  joie habituelle quand approchait Gilles, au contraire, il se montrait nerveux et laissait voir une certaine inquiétude. L a journée était cependant belle, même très chaude.
     Cécilia sortit afin de voir si Gilles n'approchait pas enfin. Elle remarqua que le ciel était couvert de nuage noirs, qu'il ne faisait guère plus clair au dehors que dans son refuge et qu'un vent violent s'était levé. De grosses gouttes de pluie la forcèrent à se mettre à l'abri près de Custos et de Blanchette. Soudains des coups de tonnerre se font entendre, accompagnés d'éclairs et d'une luie redoublée.
   Tremblante de peur, elle s'enfonça dans la grotte avec les animaux aussi inquiets qu'elle-même. On entendait le Hoyoux déjà gonflé, faire un bruit inquiétant, dominé lui-même par d'incessants coups de tonnerre.
     L'eau de la Wappe commença à pénétrer dans la caverne. Pas moyen de sortir tant il pleuvait. Subitement un flot d'eau bouscula les pierres d'entrée du réduit les faisant tomber les unes sur les autres et ne laissant qu'une toute petite ouverture donnant accès vers l'extérieur.
       Cécilia, morte de peur, se voyait déjà noyée dans la grotte. Elle parvint toutefois à se glisser dehors, aidée de son chien qui sortit également; mais il n'y avait pas à songer à tirer de là Blanchette, abandonnée ainsitoute couverte d'or et de pierreries.
      Accompagnée de Custos, elle tenta de gagner la hauteur, quand, suite à la ruptured'un barrage situé sur la Wappe, en amont, une énorme masse d'eau les entraîna, elle et son chien, dans le Hoyoux démonté. Elle eut la chance de s'accrocher à un tronc d'arbre déraciné qui passait, entrainé par le torrent. Toujous avec son fidéle chien qui tenait sa robe entre des dents, ils arrivèrent épuisés au pied de la rue Cherave, où un tourbillon les projeta sur la berge.
     Des habitants demeurant un peu plus haut dans cette rue, l'aperçurent et vinrent la prendre et la transporter inconscient chez eux. Le brave Custos, complètement affaibli, mourut en lachant la robe de sa maîtresse, que l'on emportait et vers laquelle il lança un dernier regard. Cécilia revint rapidement à elle et réclama Custos qu'on lui dit soigné ailleurs.
     Peu après, Gilles qui venait voir le déferlement des eaux au pied de Cherave, fut prévenu qu'une jeune fille inconnueavait été recueillie par de braves gens du bas de la côte. Il se rendit chez eux dans le but d'aider, ou la sinstrée, ou ces braves gens. Quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir là sa chère Cécilia. Il la fit aussitôt amener au château du mont Picard et avec amour, lui prodigua tous les soins que réclamait son état. Le landemain, il envoya des hommes de confiance chez Claude Régis pour lui donner des nouvelles de sa fille dont il devait ignorer le sort depuis la veille et le rassurer à son sujet.
     Héla! ces gens ne rapportèrent au mont Picard le récit de biens terribles évènements.
     La veille, Régis accompagné de Germain et de deux domestiques étaient partis au début de l'orage à la recherche de Cécilia, qui était allée a la pêche au bord du Hoyoux. L'ouragan se déchînant subitement, avait transformé en torrent impétueux la rivière déjà rapide en temps calme et alors que ces quatres personnes passaient sur un pont de bois, celui-ci fut emporté en quelques instants, précipitant dans l'eau mugissante, Régis et ses compagnons, qui périrent noyés et disparurent à tout jamais.
     L'annonce de cette catastrophe, qu'il fut impossible de cacher à Cécilia, réclamant la visite de son père, la mit au désespoir et prolongea d'au moins quinze jours sa convalescence. Gilles fit enterrer Custos dans son parc. La nouvelle de sa mort, que l'on ne put non plus cacher à Cécilia qui le réclamait, lui donna un autre choc.
     Quand ils furent unpeu remis de ces émotions, nos jeunes gens se prirent à réfléchir sur les causes de tous ces malheurs.
     "C'est, dit Cécilia, mon amour de l'or et de la richesse qui est à l'origine de ces funestes événements, j'en suis justement punie."
     "C'est moi le coupable, dit Gilles, je suis venu troubler ta tranquilité , l'amour égoïste m'a poussé à te tenter et c'est toi qui est la victime."
     Ils décidèrent d'aller s'accuser de leurs fautes au curé de Notre-Dame de Huy, lui demander l'absolution et la ligne de conduite qu'ils devaient suivre. Ce sage prêtre leur conseilla de se repentir, ils avaient bien jugé qu'elles étaient leurs fautes. La pratique de la charité couvrirait ces péchés. Secourez indigents et déshérités, puis ne regardez plus en arrière, mais en avant. Vous devez, rien ne s'y opposant, vous marier et faire le bien. Ils suivirent ces précieux conseils.
     Mais qu'était devenue Blanchette? Il y avait là à récupérer une fortune à donner aux malheureux.
     Gilles et Cécilia retournèrent au ry de Wappe. Quelles transformations avaient subi les lieux en quelques heures! Ils ne purent retrouver l'emplacement de la grotte; tout était bouleversé! Si Custos eut encore été vivant, son flair subtil n'eut pas mmanqué d'indiquer l'endroit où l'on devait pratiquer les fouilles, hélas, ce témoins précieux avait aussi disparu.
     Ils durent abandonner l'espoir de jamais retrouver la Gatte d'Or. Dans le pays on connut cette histoire de Blanchette.
     Nombreux furent ceux qui, durant des années, des siècles même, tentèrent de récupérer les richesses de la gatte d'or; tentatives toujours vaines. On dit que le démon lui-même est venu rechercher ce trésor maudit qui lui permet de poursuivre son oeuvre néfaste; jamais donc on ne le retrouvera.
     Le souvenir de Blanchette est cependant vivace au confluent du ru de Wappe et du Hoyoux. Sur la route de Huy à Modave, après avoir dépassé les Forges, commune de Marchin, vous verrez un écriteau indiquant: " la Gatte d'Or". C'est auprès de ce lieudit qu'elle a disparu à jamais.
    
   

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