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   Légendes_______________________________________Paul Erève


SAINT JEAN L'AGNEAU_____________________

Tiré du livre " Le Hoyoux et ses confins Montueux " de Paul Erève - Edition Foncoux 1949. 

La légende de saint Jean l'Agneau, Evêque

     Dans l'église de Tihange, on peut voir un tableau qui ne manque pas d'intriguer quelque peu le visiteur étranger.Il représente un laboureur assis sur sa charrue et causant avec un envoyé céleste. C'est saint Jean l'Agneau dont voici contée la belle et touchante histoire.
    Vers l'an 625, sous le règne du sage et glorieux Roi d'Agobert 1er, tout le territoire s'étendant aux portes de Huy, le long de la Meuse et en aval de la ville, sur une superficie qu'on peu évaluer aujourd'hui à environ un millier d'hectares, appartenait à un riche seigneur probablement d'origine Gauloise.
    Jean était le nom de ce grand propriétaire. Il était d'une taille gigantesque et d'une force peu commune. Mais il était de moeurs si douces et d'une si grande charité qu'on l'appelait l'Agneau. La religion chrétienne avait fait, aux siècles précédents, de tels progrès et réussi à ancrer de si profondes racines dans l'âme de nos ancêtres, que leurs coutumes et leur genre de vie en avaient subi des changements radicaux.
    Jean, qu'une mère chrétienne avait appris à prier, gardait dans son coeur tous les fruits les plus purs d'une éducation inspitée par l'Evangile du Christ au point même que, dédaignant le noble métier des armes, les honneurs de la gloire militaire et de la vie fastueuse des cours auxquels le destinait sa naissance. Il s'était consacré de préférence aux durs travaux des champs.
    S'adonner à l'agriculture est pour un peuple le signe le plus certain de sa vitalité, c'est aussi l'indice le moins discutable de la valeur et des ressources de sa civilisation. Ainsi peut-on considérer comme un témoignage favorable pour un citoyen le fait  qu'on le voit accepter  avec joie et soumission les libres servitudes du travail de la terre.
    Aussi, à une époque lourde encore de barbarie et où, seul le métier des armes était à l'honneur, peut-on considérer comme un réconfortant indice de civilisation le spectacle émouvant de Jean, le riche seigneur de Tihange, devenu laboureur, se mêlant activement aux travaux de ses serfs et de ses domestiques,  et traçant lui-même sa part de sillons dans ses champs.
    On dit que son aversion pour l'oisiveté lui faisait répéter, en toute occasion, que "celui qui ne travaille pas n'a droit ni à sa nourriture, ni à ses vêtements". Tant il est vrai que le travail est fait pour l'homme et que l'on est d'autant plus complètement homme que l'on se trouve être le plus apte à travailler ou que l'on travaille davantage.
    D'ailleurs, le travail comporte toujours sa récompense: les champs de Jean l'Agneau étaient particulièrement fertiles. Le voisinage de la Meuse y contribuait sans doute, mais les soins éclairés et le labeur assidu de leur maître  n'y étaient pas étrangers non plus. Le blé y croissait en abondance et plus beau que partout ailleurs.
    Le domaine de Jean s'étendait jusque sur les collines qui dominaient la vallée du  côté du Midi. D'épaisses forêts en couronnaient les hauteurs entre lesquelles les eaux murmurantes et cascadeuses de clairs ruisseaux creusaient de profonds et pittioresques ravins. D'immenses troupeaux de boeufs et de moutons paissaient aux alentours.
    La villa de Jean occupait à peu près, au milieu de ses biens, l'endroit où s'élèvent aujourd'hui l'église et les maisons de centre du village. Qu'il y faisait bon vivre, sous l'autorité paternelle du seigneur Jean!
    Une seule chose assombrissait sa vie: il n'avait pas d'enfants et ses cheveux blanchissaient. Il avait, pourtant une épouse aimante et digne en tous points de lui... Sans doute ignorait-il pourquoi Dieu lui refusait les joies de et l'honneur des amours fécondes. Il ne pouvait connaître les impénétrables et miséricordieux desseins de son souverain maître, qui le voulait libre de toute paternité selon la chair afin de lui réserver, dès ici-bas, la gloire d'une paternité plus auguste, celle de Pasteur de son troupeau.
    Or, le siège épiscopal de Tongres, que saint Servais avait transféré à Maestricht, était vacant. Saint Ebrégiste, 24ème éveque, était mort. Son clergé, réuni à Maestricht, s'occupait  de lui donner un successeur. La mission semblait difficile. Nul prêtre ne paraissait ou ne se sentait digne d'assumer cette lourde succession.
    Tandis que d'ardentes prières s'élevaient vers Dieu pour qu'il daîgnat éclairer l'âme de ses fidèles serviteurs, Jean était aux champs avec ses valets. La main sur la charrue, il stimulait de l'aiguillon deux grands boeufs blancs qui traçaient un sillon dans la jachère. On était en mars et l'on préparait les semailles.
    L'horizon,sur la meuse, avait la claire luminosité des matins printaniers quand le soleil luit entre deux folles averses. Les pinsons commençaient à chanter dans les bosquetsvoisins où l'on voyait poindre déjà l'émeraude des bourgeons. Jean s'arraitait parfois pour laisser souffler ses bêtes et son admiration s'exhaltait en action de grâces vers le créateur qui a répandu tant de charmes et de beautés sur les multiples et reposants aspects de la nature, miroir de son infinie bonté.
    Tout à coup, un étranger à cheveux blancs qu'il n'avait point vu venir se présenta et salua en se disant chargé d'un message. Afin de l'entendre, Jean arrêta son attelage et s'assit sur son soc.     Alors l'étranger, qui n'était autre qu'un ange déguisé,lui apprit que l'évêque était mort, et que c'était lui, Jean, que Dieu avait choisi pour lui succéder sur le siège épiscopal de Tongres-Maestricht. Jean, au comble de la surprise, se récria : " je suis indigne d'un honneur semblable! Je me sens incapable de remplir dignement une charge aussi élevée. Je suis illettré, maladroit, ignorant des choses humaines autant que des sciences religieuses. De plus, je suis marié!..."
    L'envoyé céleste lui ayant répondu que Dieu avait tout prévu, que sa Divine Providence pourvoirait à tout et que par les mérites de Jésus Christ, il verrait croître en son coeur les vertus qui étaient les siennes déjà et qui l'avaient désigné à Sa Toute Puissante et Universelle Attention.
    " Non, mille fois non, répétait Jean; ça ne se peut pas!" Puis s'adressant à l'étranger qui insistait, il lui dit : " Ce que vous me demandez est aussi irréalisable qu'il est impossible  à ce bois desséché de reverdir et de porter des fruits!" En disant ces mots, il planta son bâton dans le sol. O prodige! On vit le bâton se couvrir de feuilles, de fleurs et de fruits! Jean tomba à genoux. Quand il se releva, le mystérieux envoyé avait disparu.
    Le bruit du miracle se répandit avec une grande rapidité dans tout le diocèse. A Maestricht, le clergé et le peuple réunis envoyèrent une délégation importante à Tihange pour y rendre le nouvel évêque et former son escorte. Jean, qu'une lumière surnaturelle venait d'éclairer, s'était retiré dans un lieu soitaire appelé depuis Fond-l'Evêque, et s'y était fait édifier un ermitage.         C'est le vallon ravissant de Fond-l'Evêque, dans l'impressionnante solitude de la forêt. Jean se préparait par la prière et la pénitence aux hautes destinées auxquelles Dieu le vouait si doudainement.
    C'est là qu'on vint le chercher pour le conduire en grandes pompes à Maestricht. Le roi Dagobert l'y attendait en personne. Il fut reçu dans la ville épiscopale aux acclamations enthousiastes de son peuple, de toute la foule des fidèles venus de très loin pour recevoir la première bénédiction du Seigneur.
    Quelques jours plus tard, il était sacré solennellement par les évêques de Trêves, de Cologne et de Metz. Il fut ensuite ordonné prêtre. La tradition veut aussi que le bâton de Jean l'Agneau continua à vivre et à porter des fruits. Ces derniers étaient des pommes. On peut les savourer de nos jours encore sous le nom de " pommes de Saint Jean Lagneau".
    Sous la mitre, Jean pratiqua les mêmes vertus qu'aux temps où il cultivait la terre en son domaine de Tihange. Sa femme, touchée elle aussi par la grâce, se retira à Maestrichtdans un couvent. On lui doit, dit-on, la fondation du couvent de Belisia ( Bilsen ).

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