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  Légendes_________________________________________Paul Erève


  L'ECURIE ENSORCELEE____________________

Tiré du livre " Le Hoyoux et ses confins Montueux " de Paul Erève - Edition Foncoux 1949.

    Une sorcière, j'en ai eu une au bout de ma fourche ! C'est comme je vous le dis, se récria le père Richir. le vieux fermier des « Rotchespennes », en nous voyant hausser les épaules et affecter de rester sceptiques devant ses affirmations.
- Ah ! Mais, contez-nous ça, père Richir. fîmes-nous, soudain intéressés !
- Eh bien voilà, c'était par un hiver rigoureux. quelques jours avant la Noël, je pense. On sait que les mauvais esprits choisissent souvent la semaine précédant immédiatement les grandes fêtes de l'Eglise pour marquer leur passage. Ils n'ignorent pas que ces grandes solennités chrétiennes rappellent le triomphe de Dieu sur les forces du Mal et que beaucoup d'âmes en péril d'Enfer sont sauvées en ces occasions particulièrement bénies. Aussi leur rage satanique est-elle déchaînée.
    Or donc, chaque nuit, sur le coup d'onze heures ou vers la minuit. mon écurie devenait le théâtre d'un véritable sabbat. Mes quatorze chevaux - j'en avais, en effet, quatorze en ce temps là et c'était les plus beaux du canton - mes quatorze chevaux. dis-je, s'agitaient, se mettaient à ruer et à lancer des hennissements de terreur.
    Je me relevais chaque fois. Mais, dès que j'avais poussé l'huis et que j'apparaissais, tout rentrait dans le calme. La lanterne allumée était toujours à sa place, accrochée à sa solive. Seulement, toutes mes bêtes étaient couvertes de sueur et - chose étonnante - le toupet de leur crinière était chaque fois tressé à la perfection. Mon « varlet » dormait à poings fermés dans son lit suspendu. On l'aurait cru sous l'effet d'un somnifère.
    Trois nuits déjà que cette affaire recommençait il fallait que j'en eusse, le plus tôt possible, le coeur net et je décidai de veiller, la nuit suivante.
    Sans en prévenir personne, pas même ma femme Trinette - que le bon Dieu ait son âme - je vins, un peu avant onze heures, me mettre aux aguets derrière le coffre à avoine en m'y
dissimulant de mon mieux parmi les gerbes de paille. J'attendis.
    Tout à coup. peu d'instants après que l'horloge du château ait sonné la demie de onze heures, le vacarme se déclencha.
    Vraiment, je n'étais pas à mon aise. Il me fallut tout mon courage de chrétien pour ne pas prendre la fuite.
    Je vis mes chevaux, pris d'une panique folle, s'agiter, ruer, trembler comme des feuilles. Plus de doute, mon écurie était sous l'effet d'un maléfice on avait jeté un sort à mes bêtes. En faisant le moins de bruit possible, je m'emparai d'une longue fourche à deux dents. Passant derrière mes chevaux, je la promenai au-dessus de leur tête et le long du ratelier en criant: « Dji l'arrè ! »
    En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'avais, au bout de mon outil une vieille femme qui tendait ses grandes mains maigres et qui hurlait de douleur ou d'effroi.
La chipie grimaçait, gigotait et ouvrait démesurément sa bouche édentée. Je la ramenai à mes pieds ni plus ni moins qu'une botte de foin. C'était Catherine « la houlée », la sorcière du « Bois de Sart-Donneux.»
    Dès que j'eus retiré les dents de ma fourche de ses nippes, elle s'enfuit dans la nuit froide, sans que je susse jamais par où elle passa, puisque la porte de l'écurie était fermée et qu'il n'y avait pas d'autre issue.
    La vieille Catherine en question  habitait une chaumière écartée devant laquelle on ne passait qu'en se signant. On ne sut jamais ce qu'il advint d'elle. Elle disparut mystérieusement un samedi de printemps, quelques années plus tard. Cette nuit-là, il y avait fait un splendide clair de lune et tous les pommiers étaient en fleurs. Ce fut pourtant une année désastreuse pour les récoltes. La satanée garce s'était quand même vengée.


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